Le Nuremberg du communisme.
Prenez note, historiens : le 26 juillet 2010, s’est produit à Phnom Penh un évènement considérable. Un certain Douch (le surnom de Kaing Guek Eav) a été condamné à 35 ans de prison pour avoir dirigé de 1975 à 1979 un centre de torture qui fit quinze mille victimes. Douch fut l’un des rouages de la machine exterminatrice du règne dit des Khmers rouges. Contrairement au tribunal de Nuremberg qui, en 1945, jugea les dignitaires nazis, celui de Phnom Penh n’est pas géré par des puissances victorieuses : il opère au sein même de la Justice cambodgienne, sous le contrôle de l’opinion publique cambodgienne mais financé par les Nations Unies. On ne saurait douter de la légitimité et de l’objectivité de ce tribunal. La sentence a d’ailleurs été mal accueillie par les Cambodgiens qui, au regard des crimes commis par Douch, l’estimaient insuffisante. Celui-ci, évidemment, a fait valoir qu’il obéissait aux ordres de ses supérieurs : évidemment, puisque ce fut aussi l’alibi des dirigeants nazis à Nuremberg – Hitler étant mort- et celui de Adolf Eichmann à Jérusalem, en 1961.
Mais par-delà le cas de Douch qui n’était pas un dirigeant, qui juge-t-on à Phnom Penh ? On constate dans les médias occidentaux et asiatiques, comme dans les prises de position des gouvernements – particulièrement celui du Cambodge et de la Chine- une volonté certaine de réduire les crimes de Douch et de ses supérieurs à des circonstances locales. Une regrettable catastrophe se serait abattue sur le Cambodge en 1975, sous le nom de Khmers rouges et cette rébellion venue d’on ne sait où, aurait ravagé le Cambodge et tué 1,5 millions de Khmers. A qui, à quoi, devrait-on imputer ce que le tribunal a tout de même qualifié de génocide des Khmers par d’autres Khmers ? Ne serait-ce pas la faute des Américains ? Ceux-ci, en installant au Cambodge un régime à leur solde, auraient provoqué comme un choc en retour, une réaction nationaliste. Ou bien, ce génocide ne serait-il pas un héritage culturel propre à la civilisation Khmère ? Des archéologues fouillent, en vain, le passé pour retrouver un précédent historique. Mais , l’explication véritable, l’arme du crime , on la trouvera plutôt dans ce que les Khmers rouges eux-mêmes déclaraient : de même qu’Hitler avait décrit à l’avance ses crimes, Pol Pot (aujourd’hui décédé) avait expliqué par avance qu’il détruirait son peuple pour en créer un nouveau. Pol Pot se disait communiste : il le devint, étudiant, à Paris, dans les années 1960. Puisque Pol Pot et le régime qu’il imposa, se disaient communistes – et d’aucune manière les héritiers de quelque dynastie cambodgienne – il faut admettre qu’ils l’étaient vraiment, communistes.
Ce que les Khmers rouges imposèrent au Cambodge, ce fut bien le communisme réel : il n’y eut pas, ni en termes conceptuels ou concrets de distinction radicale entre ce règne des Khmers rouges et le Stalinisme, le Maoïsme, le Castrisme ou la Corée du Nord. Tous les régimes communistes suivent des trajectoires étrangement ressemblantes que colorent à peine, les traditions locales. Dans tous les cas, ces régimes entendent faire du passé table rase et créer un homme nouveau ; dans tous les cas, les « riches », les intellectuels et les sceptiques sont exterminés. Les Khmers rouges regroupèrent la population urbaine et rurale dans des communautés agricoles calquées sur les précédents russes, les kolkhozes et chinois , les communes populaires , pour les mêmes raisons idéologiques et conduisant au même résultat : la famine. Sous toutes les latitudes, le communisme réel patauge dans le sang : extermination des Koulaks en Russie, révolution culturelle en Chine, extermination des intellectuels à Cuba. Le communisme réel sans massacre, sans torture, sans camps de concentration, le goulag ou le laogaï, cela n’existe pas. Et si cela n’a pas existé , il faut bien en conclure qu’il ne pouvait en être autrement : l’idéologie communiste conduit nécessairement à la violence de masse parce que la masse ne veut pas du communisme réel. Ceci dans les rizières du Cambodge tout autant que dans les plaines de l’Ukraine ou sous les palmiers cubains : et les régimes communistes partout et toujours ne furent jamais qu’imposés par l’extrême violence.
Le procès de Douch est donc le premier procès, qui sera suivi bientôt par celui des hauts dirigeants Khmers rouges actuellement incarcérés, d’un apparatchik marxiste responsables dans un régime officiellement et réellement marxiste, léniniste, maoïste. Le procès du nazisme fut instruit à Nuremberg en 1945, celui du fascisme japonais à Tokyo en 1946, mais celui du communisme jamais. Bien que le communisme réel ait tué ou dégradé plus de victimes que le nazisme et le fascisme réunis. Ce procès du communisme n’a jamais eu lieu, en - dehors de la sphère intellectuelle - pour deux raisons : d’abord, le communisme bénéficie d’une sorte d’immunité idéologique parce qu’il se réclame du progrès. Et surtout, parce que les communistes sont toujours au pouvoir, à Pékin, Pyongyang, Hanoi et La Havane. Là où ils ont perdu le pouvoir, ils ont organisé leur propre immunité en se reconvertissant en socio-démocrates, en hommes d’affaires, en leaders nationalistes, ce qui est le cas général dans l’ex-union soviétique.
Le seul procès possible et effectif n’a donc sa place qu’au Cambodge : mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas du procès des Cambodgiens par d’autres Cambodgiens : encore une fois, le procès de Phnom Penh est celui du communisme réel par ses victimes. Pour l’avenir, il faut imaginer, mais c’est incertain, un procès du communisme à Pyongyang, intenté par les victimes coréennes, ou un procès de Pékin, intenté par les victimes et leurs ayant-droits. Si ces procès devaient un jour se tenir, à Pékin ou Pyongyang, voire à Moscou ou à Kiev, on serait étonné par la similarité des crimes et par celle des alibis : partout des accusés sans courage se déclareraient victimes des circonstances ou des ordres d’un supérieur introuvable.
Une caractéristique étrange du communisme réel, révélée à Phnom Penh, est qu’après sa chute, aucun apparatchik communiste ne se réclame plus du communisme. Le procès de Phnom Penh montre combien le marxisme est très utile pour revendiquer le pouvoir, prendre le pouvoir et l’exercer de manière absolue: mais le marxisme comme idéal n’est revendiqué par personne , pas même par ses anciens dirigeants. Les Khmers rouges ont tué au nom de Marx, Lénine et Mao, mais ils préfèrent mourir comme des traitres à leur propre cause ou s’enfuir plutôt que mourir en marxistes. Cette lâcheté des Khmers rouges devant leurs juges révèle le marxisme sous un jour nouveau : le marxisme est réel mais il n’est pas vrai puisque nul n’y croit.
Prenez note, historiens : le 26 juillet 2010, s’est produit à Phnom Penh un évènement considérable. Un certain Douch (le surnom de Kaing Guek Eav) a été condamné à 35 ans de prison pour avoir dirigé de 1975 à 1979 un centre de torture qui fit quinze mille victimes. Douch fut l’un des rouages de la machine exterminatrice du règne dit des Khmers rouges. Contrairement au tribunal de Nuremberg qui, en 1945, jugea les dignitaires nazis, celui de Phnom Penh n’est pas géré par des puissances victorieuses : il opère au sein même de la Justice cambodgienne, sous le contrôle de l’opinion publique cambodgienne mais financé par les Nations Unies. On ne saurait douter de la légitimité et de l’objectivité de ce tribunal. La sentence a d’ailleurs été mal accueillie par les Cambodgiens qui, au regard des crimes commis par Douch, l’estimaient insuffisante. Celui-ci, évidemment, a fait valoir qu’il obéissait aux ordres de ses supérieurs : évidemment, puisque ce fut aussi l’alibi des dirigeants nazis à Nuremberg – Hitler étant mort- et celui de Adolf Eichmann à Jérusalem, en 1961.
Mais par-delà le cas de Douch qui n’était pas un dirigeant, qui juge-t-on à Phnom Penh ? On constate dans les médias occidentaux et asiatiques, comme dans les prises de position des gouvernements – particulièrement celui du Cambodge et de la Chine- une volonté certaine de réduire les crimes de Douch et de ses supérieurs à des circonstances locales. Une regrettable catastrophe se serait abattue sur le Cambodge en 1975, sous le nom de Khmers rouges et cette rébellion venue d’on ne sait où, aurait ravagé le Cambodge et tué 1,5 millions de Khmers. A qui, à quoi, devrait-on imputer ce que le tribunal a tout de même qualifié de génocide des Khmers par d’autres Khmers ? Ne serait-ce pas la faute des Américains ? Ceux-ci, en installant au Cambodge un régime à leur solde, auraient provoqué comme un choc en retour, une réaction nationaliste. Ou bien, ce génocide ne serait-il pas un héritage culturel propre à la civilisation Khmère ? Des archéologues fouillent, en vain, le passé pour retrouver un précédent historique. Mais , l’explication véritable, l’arme du crime , on la trouvera plutôt dans ce que les Khmers rouges eux-mêmes déclaraient : de même qu’Hitler avait décrit à l’avance ses crimes, Pol Pot (aujourd’hui décédé) avait expliqué par avance qu’il détruirait son peuple pour en créer un nouveau. Pol Pot se disait communiste : il le devint, étudiant, à Paris, dans les années 1960. Puisque Pol Pot et le régime qu’il imposa, se disaient communistes – et d’aucune manière les héritiers de quelque dynastie cambodgienne – il faut admettre qu’ils l’étaient vraiment, communistes.
Ce que les Khmers rouges imposèrent au Cambodge, ce fut bien le communisme réel : il n’y eut pas, ni en termes conceptuels ou concrets de distinction radicale entre ce règne des Khmers rouges et le Stalinisme, le Maoïsme, le Castrisme ou la Corée du Nord. Tous les régimes communistes suivent des trajectoires étrangement ressemblantes que colorent à peine, les traditions locales. Dans tous les cas, ces régimes entendent faire du passé table rase et créer un homme nouveau ; dans tous les cas, les « riches », les intellectuels et les sceptiques sont exterminés. Les Khmers rouges regroupèrent la population urbaine et rurale dans des communautés agricoles calquées sur les précédents russes, les kolkhozes et chinois , les communes populaires , pour les mêmes raisons idéologiques et conduisant au même résultat : la famine. Sous toutes les latitudes, le communisme réel patauge dans le sang : extermination des Koulaks en Russie, révolution culturelle en Chine, extermination des intellectuels à Cuba. Le communisme réel sans massacre, sans torture, sans camps de concentration, le goulag ou le laogaï, cela n’existe pas. Et si cela n’a pas existé , il faut bien en conclure qu’il ne pouvait en être autrement : l’idéologie communiste conduit nécessairement à la violence de masse parce que la masse ne veut pas du communisme réel. Ceci dans les rizières du Cambodge tout autant que dans les plaines de l’Ukraine ou sous les palmiers cubains : et les régimes communistes partout et toujours ne furent jamais qu’imposés par l’extrême violence.
Le procès de Douch est donc le premier procès, qui sera suivi bientôt par celui des hauts dirigeants Khmers rouges actuellement incarcérés, d’un apparatchik marxiste responsables dans un régime officiellement et réellement marxiste, léniniste, maoïste. Le procès du nazisme fut instruit à Nuremberg en 1945, celui du fascisme japonais à Tokyo en 1946, mais celui du communisme jamais. Bien que le communisme réel ait tué ou dégradé plus de victimes que le nazisme et le fascisme réunis. Ce procès du communisme n’a jamais eu lieu, en - dehors de la sphère intellectuelle - pour deux raisons : d’abord, le communisme bénéficie d’une sorte d’immunité idéologique parce qu’il se réclame du progrès. Et surtout, parce que les communistes sont toujours au pouvoir, à Pékin, Pyongyang, Hanoi et La Havane. Là où ils ont perdu le pouvoir, ils ont organisé leur propre immunité en se reconvertissant en socio-démocrates, en hommes d’affaires, en leaders nationalistes, ce qui est le cas général dans l’ex-union soviétique.
Le seul procès possible et effectif n’a donc sa place qu’au Cambodge : mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas du procès des Cambodgiens par d’autres Cambodgiens : encore une fois, le procès de Phnom Penh est celui du communisme réel par ses victimes. Pour l’avenir, il faut imaginer, mais c’est incertain, un procès du communisme à Pyongyang, intenté par les victimes coréennes, ou un procès de Pékin, intenté par les victimes et leurs ayant-droits. Si ces procès devaient un jour se tenir, à Pékin ou Pyongyang, voire à Moscou ou à Kiev, on serait étonné par la similarité des crimes et par celle des alibis : partout des accusés sans courage se déclareraient victimes des circonstances ou des ordres d’un supérieur introuvable.
Une caractéristique étrange du communisme réel, révélée à Phnom Penh, est qu’après sa chute, aucun apparatchik communiste ne se réclame plus du communisme. Le procès de Phnom Penh montre combien le marxisme est très utile pour revendiquer le pouvoir, prendre le pouvoir et l’exercer de manière absolue: mais le marxisme comme idéal n’est revendiqué par personne , pas même par ses anciens dirigeants. Les Khmers rouges ont tué au nom de Marx, Lénine et Mao, mais ils préfèrent mourir comme des traitres à leur propre cause ou s’enfuir plutôt que mourir en marxistes. Cette lâcheté des Khmers rouges devant leurs juges révèle le marxisme sous un jour nouveau : le marxisme est réel mais il n’est pas vrai puisque nul n’y croit.
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